Là où l'on palabre...
Vous n'êtes pas identifié.
Alors, heu... Mon histoire c'est ça ? Vous vous attendez sûrement à du beau, du grandiose, du grandiloquent, du récit qui tient en haleine, avec un début joyeux, un tournant tragique, une suite sanglante et une lumière finale qui conduit à une vie maintenant pleine de joie et d'espoir, hein ? Oh, je pense que je pourrai vous pondre ça si vous insistez, ça doit pouvoir se trouver... enfin je pense. J'ai toujours eut pas mal d'imagination, donc je pense que ça le ferait. Mais bon, fondamentalement, j'ai pris la plume cette fois-ci pour vous conter ma véritable histoire, et je crains qu'elle ne commence pas dans un château de conte de fée. Pas plus dans un pauvre petit village de fermier bien tranquille où mes parents peinaient à élever les mômes, dont je serais ou l'aînée ou la petite dernière, et qui aurait été frappée tragiquement par un événement funeste, éliminant toute ma famille (ce morceau-là , j'aimerais bien, pourtant, croyez-moi) et m'envoyant de force sur les routes. Si c'est ce genre de trucs qui vous intéressent, ou tous les récits du même genre, vous me reposez sagement ce parchemin et vous allez vous trouver l'histoire d'un beau héros quelque part, je suis sûre que des tas de gens ont écrit des choses de ce genre. Allez, cherchez un peu, vous trouverez ça, les Elfes ou les Humains aiment bien écrire ce genre de trucs. Ce sera sûrement faux, mais bon, avec de la chance vous tomberez sur une bonne histoire.
Pour en revenir à moi – qui a dit "enfin", que je le passe à la moulinette ? – elle débute dans une auberge. Non, je ne suis pas une Naine, ni une quelconque hybridation de cette race ridicule, si vous venez de penser ça, sautez dans une fosse à piranhas de ma part, merci. Je suis une Gnomette, moi, madame, de la Gnomette pure race, du beau produit ! Et je vous ferai remarquer que c'est moi qui écrit, alors je digresse autant que je veux, et si ça vous plaît pas vous pouvez arrêter de lire, je vous retient pas, si plus personne ne lit ça me permettra d'écrire plein de bêtises après. Naméo, faut pas déconner, je peux encore être tranquille dans ma propre histoire, oui ? Je disais donc que je suis née dans une auberge. Une gentille petite auberge, quelque part dans les étendues du Londor, tenue par un couple de Gnomes bien comme il faut. Des Gnomes puristes, en fait, qui répugnaient à servir d'autres gens que des Gnomes, ne le faisant que parce que leur commerce l'exigeait en ces terres troublées. Leur fille unique, ma mère, exerçait dans ladite taverne un métier dont je tairai la nature exacte, par égard pour les plus jeunes de mes lecteurs. Les plus vieux, vous avez parfaitement compris l'allusion, alors venez pas râler d'un quelconque manque de clarté. Et elle, elle ne servait que les Gnomes, les vrais, non mais ! Même quand elle ne faisait que le service classique, c'est vous dire si pour le reste elle était regardante.
Je vis donc le jour et grandit en compagnie de gens persuadés de la grandeur – métaphoriquement parlant, ça va hein ! – du Peuple Gnome, de sa noblesse, de son mérite et de sa supériorité indubitable sur les autres races, dans quelque domaine que ce fut. Et cela m’écœura tellement qu'à seize ans je pris la route pour échapper à cet esprit rance et renfermé, pour rejoindre un groupe d'alliancieux tout gentil, bien vite fondue dans un collectif hippie prônant l'égalité de toutes les races du Londor... ahah ! Vous y avez cru là ? Si oui vous êtes encore plus bêtes que je ne le pensais. Pour en revenir aux choses sérieuses – oui, j'écrirai cette phrase ou des variantes autant de fois que je le voudrai, et je vous emm... vous zut, pardon, les jeunes lecteurs – je m'imprégnais très tôt de cette pensée juste et raisonnable au plus haut point, jusqu'à me l'approprier dès mon plus jeune âge. En regardant les Vils Pas Gnomes – le terme commençait à se répandre, déjà à l'époque, parmi les puristes – qui venaient parfois fréquenter la taverne, sans qu'on ait rien fait pour les attirer d'ailleurs, je ne pouvais faire autrement que de confirmer l'avis de ma famille. Ils étaient crasseux, bruyants, avinés la plupart du temps, et généralement beaucoup trop grands. Comment voulez-vous qu'un cerveau soit correctement oxygéné à pareille hauteur ? Les seuls qui avaient une taille raisonnables étaient barbus, puants et plein de poux. Bien sûr, le fait que ce seuls les pires loques non-gnomes viennent dans notre établissement n'était pas pour rien dans cette impression, mais c'était la première, et une première impression ne trompe jamais, n'est-ce pas ?
La plus belle expérience de mon enfance sans père fut un voyage au Royaume des Gnomes que fit avec moi ma mère. Elle avait des affaires à y mener, et en profita pour me faire visiter. L'enfant que j'étais décida dès les premières minutes que ce serait là qu'elle vivrait plus tard. Tout était plus grand, plus beau. Même les Gnomes que nous croisions dans les rues avaient l'air encore plus nobles et valeureux que ceux que je voyais d'habitude. Ce fut à regret que je voyais le séjour se terminer et que je rentrais à l'auberge avec ma mère, mais une résolution nouvelle était née en moi, qui ne pâlit pas avec les années comme le font souvent les résolutions d'enfants. Je ne reprendrai pas l'auberge familiale quand le temps serait venu, non, j'irai vivre là -bas, dans le Royaume de ma glorieuse race, quoi qu'il m'en coûte ! C'est suite à cela, un peu au hasard, que je choisi de devenir magicienne, c'est à dire quelqu'un de « spécial », quelqu'un qui mériterait de vivre dans cet endroit illustre. Et dès le début, mes performances furent... minables. Hé, j'aimerais vous y voir vous, sans sorts, sans professeurs, sans entraînement, sans rien. Essayez, et on en reparle. J'suis pas une prodige tombée des cieux moi, même si mes talents indubitables, les talents communs à tous les Gnomes dignes de ce nom, me permirent de réaliser l'exploit inqualifiable de... ne pas faire brûler l'auberge. Ce qui était mieux pour ma propre survie, vu ce que mon grand-père m'aurait fait si j'avais fait flamber le lieu de toute sa vie... et son unique source de revenus.
Oui, j'avais choisi la magie du feu, j'étais jeune, cela me semblait le plus impressionnant. Je suppose que c'est l'histoire plus ou moins avouée de tous les mages de feu, mais que voulez-vous, on peut toujours vous dire que c'est la prédestination et vous serez bien en peine de prouver le contraire si vous avez un autre avis, de toute façon, puisque personne ne connaît les arcanes du destin. Si une personne connaissant mon destin me lit, merci de ne rien m'en dire, je vais pas pouvoir m'empêcher d'esquiver les emmerdes si je sais derrière quel tournant elles m'attendent. Pour en revenir à nos papillons, c'est vers quarante ans que je me suis enfin trouvé un professeur, un des habitués de l'auberge qui était prêt à échanger quelques leçons contre quelques pintes de bières. Mes grands-parents étaient déjà âgés, alors, et ma mère s'occupait en majorité de l'affaire, raison pour laquelle elle accepta. Ce professeur était un peu foireux, mais il me permis au moins de maîtriser les bases, car selon lui la véritable expérience ne pouvait s'obtenir qu'en parcourant le monde. Je soupçonnais et soupçonne encore sérieusement que ces leçons étaient surtout un moyen pour lui de boire gratuitement, et qu'il n'avait pas lui-même de grands talents pour cela, mais c'était toujours mieux que rien, après tout, aussi m'en contentais-je pendant pas mal de temps, mon rêve de jeunesse perdant peu à peu de sa force sans s'éteindre jamais totalement.
Je restais à l'auberge, en grande partie pour ma mère, qui ne pouvait quand même pas la faire tourner toute seule. Ma grand-mère mourut de vieillesse et de maladie alors que j'avais la soixantaine, rapidement rejointe par son époux. Ma mère aurait dû avoir encore de belles années devant elle, mais elle trouva la mort stupidement, un soir, en sortant les poubelles. Il y avait deux marches, elle glissa sur la première – sur un vomi de Nain, en fait, sal'té de barbus ! – et se rompit la nuque à l'arrivée. J'avais un peu plus de septante ans, à l'époque, et après avoir fait incinéré ma génitrice – quand je vous dit que le feu est une vocation ! – j'ai rapidement liquidé l'auberge, n'aillant aucune envie de la reprendre. J'en gardais seulement une tonne de récit dans la tête, une conviction absolue de la supériorité gnome, ainsi qu'une résistance importante à la bière et à la plupart des alcools. Ah ben oui, on ne vit pas sept décennies dans un débit de boissons sans boire plus souvent qu'à son tour, même si je ne suis jamais devenue alcoolique, parole de Gnomette. Aujourd'hui, je pense bien que l'auberge existe encore, mais de là à vous dire qui la tient ou où elle se situe, c'est une autre histoire. Je n'ai jamais été très forte en orientation – tout le monde a son petit défaut – et à moins d'entrer dedans je crois bien que je ne pourrai la reconnaître. Mais bon, ce n'est pas une question capitale, le nouveau propriétaire a refusé de me faire des réductions d'office de toute façon, alors pourquoi me souviendrais-je de où il vend ses boissons, hein ?
Comme de bien entendu, après m'être rapidement renseignée, je pris la direction du Royaume des Gnomes, bien décidée à réaliser mon rêve d'enfance. J'avais fini par maîtriser un bon sortilège de combat tenant au feu, et était confiante dans ma capacité à me défendre... Une confiance mal placée à vrai dire, si je suis arrivée en vie jusqu'aux murailles du Royaume c'est en grande partie grâce à la chance, sans doute celle des débutants. Et pourtant, j'avais adoré ça ! L'aventure, le fait d'avoir toujours à regarder par-dessus mon épaule, mais aussi l'occasion d'utiliser enfin la magie que j'avais à moitié étudiée toutes ces années... c'était pile ce qu'il me fallait. Je revins donc sur ma décision, et choisit de simplement établir ma résidence officielle dans le Royaume, pour me faire aventurière. De toute façon, tout ce que je savais faire d'autre c'était serveuse, et comme je n'avais aucune envie de remettre ça, le choix fut vite fait. Les récits que j'avais entendus toute ma vie m'avaient donné une assez bonne idée de la réalité des choses, et mes premières armes furent honorables, les souvenirs s'effaçant bien vite devant une réalité qui ne me causa, du coup, pas trop de dommages. Je tuais et blessais quelques monstres au prix de quelques blessures de mon côté – oui, les miennes étaient pires, mais les vôtres aussi à cette époque, si si, souvenez-vous – tout en tapant à l'occasion sur les Vils Pas Gnomes que je rencontrais et qui ne semblaient pas pouvoir me couper en deux avant que j'ai le temps de me mettre à l'abri dans le Royaume, fort commodément doté de palissades défensives, détail que les récits ne m'avaient pas rapportés mais dont j'avais bien vite compris l'utilité, surtout quand on agissait à proximité d'elles.
Mon destin prit un autre tournant quand, remarquant mes efforts et ma fougue, à moins que ce ne fut juste une chance qu'elle ne vint à passer par là , une membre éminente des Gardes Gnomes vint à me remarquer, et me proposa ses conseils, ainsi que d'intégrer rapidement son clan. Appréciant l'esprit de cette remarquable association de membre de la race la plus illustre du Londor – comment ça du parti pris ? – je n'hésitais pas longtemps avant d'accepter la proposition de la charmante Gnomette, qui outre cette chaleureuse contribution à mon avenir m'aida dans mes premiers pas balbutiants d'aventurière, bien vite rejointe par d'autres sages du clan qui m'aidèrent à financer mes débuts, mais aussi à m'intégrer en tant que Citoyenne de la Nation Gnome, une institution dont j'ignorais encore l'existence, les récits que j'avais écoutés et dont je me souvenais étant décidément bien lacunaires. Mon évolution en fut dynamisée, et d'opérations claniques en quêtes, je me laissais peu à peu imprégner de l'esprit du Clan et de celui plus vaste de la Nation, jusqu'à devenir la jeune Gnomette prometteuse et dévouée, adepte du feu et des soins qui vous a livré ces quelques lignes...